EN 1913
En sortant du garage du Modern Hôtel on traverse un petit jardin pour rejoindre la villa des Tilleuls que madame Conus a fait construire en 1911, il y a tout juste deux ans. La villa est coquette, pas trop grande mais tout à fait au goût du jour avec ses ferronneries de garde-corps, sa porte et sa marquise dans dans ce style à la mode que l’on appelle « l’Art Nouveau ». La façade principale orientée plein sud s'ouvre largement sur le jardin par de belles ouvertures. On a là une vraie « maison de ville » avec son toit brisé en ardoise, mais agrémentée d'une touche de pittoresque avec ses grandes lucarnes-pignons. « La ville à la campagne » me lance madame Conus, « voilà tout le charme de nos villas de province ».
Madame Conus n’est pas peu fière de sa villa, la voilà qui insiste pour me faire visiter avant que je ne rejoigne mon hôtel. C'est une demeure tout à fait confortable avec son sous-sol de service, un cabinet de toilette et un système de chauffage central. La décoration reste sobre mais de bon goût : papiers peints fleuris et colorés, moulures aux plafonds, parquet pour les étages et mosaïque au rez-de-chaussée. C’est une villa parfaitement dans l’esprit des stations thermales modernes.
D'ailleurs, l’architecte Albert Salomon qui l’a réalisée est également l’auteur de deux autres villas à Luxeuil-les-Bains, et il a conduit des travaux au Modern Hôtel. L’engouement pour le thermalisme a considérablement modifié Luxeuil ces dernières années. Des villas meublées et des hôtels sont sortis de terre aux abords de l’établissement thermal afin d’accueillir les curistes toujours plus nombreux, constituant aujourd’hui un véritable « quartier thermal » moderne au nord de la ville ancienne.
Madame Conus est fort aimable, mais elle est aussi intarissable lorsqu’il est question de ses projets immobiliers ! J’arrive non sans peine à prendre congés, et je rejoins mon hôtel en passant par l’allée des Romains. Sur ma gauche, l’imposante silhouette du Modern Hôtel avec ses cinq niveaux agrémentés de coursières et son ascenseur électrique en extérieur. Sur ma droite, la Villa des Fleurs dont madame Conus m'a parlée. Bâtie dans les années 1830, c'est une demeure plus ancienne et plus modeste mais déjà si caractéristique de la villégiature avec ses balcons en fer forgé.
DE NOS JOURS
La Villa des Tilleuls et l’allée des Romains n’ont subies quasiment aucune transformation depuis 1913. Elles rendent bien compte - encore aujourd’hui - de la réalité des hébergements destinés aux curistes à la Belle Epoque. À côté de logements modestes, de belles maisons bourgeoises sont construites. Mais quel que soit le standing du logement, on retrouve les indispensables balcons qui rappellent que la cure thermale est aussi une cure d’air et de lumière. Par chance, la Villa des Tilleuls a conservé son décor Art Nouveau : la porte surmontée d’une marquise, les balcons et les lucarnes-pignons.
D’autres édifices ont traversé plus difficilement le 20e siècle. L’Hôtel des Bains, dont la façade donnait sur l’avenue des Thermes, est aujourd’hui détruit. Il n’est plus connu que par des cartes postales anciennes et des dessins de l’architecte Albert Salomon qui l’a bâti en 1909.
Grâce au versement du fonds de son agence aux archives départementales de Belfort, le travail de l’architecte à Luxeuil est aujourd’hui bien documenté. En 1908, il propose ainsi à Arthur Grille le projet d’un grand hôtel à bâtir avenue des Thermes. Le projet est abandonné après une première estimation du coût des travaux. On sait également qu’il intervient en 1924 à la demande d’Alfred Colle, industriel et député. Celui-ci souhaite transformer la Villa du Châtigny, rue de Grammont, en maison de cure. Sans la conservation d’archives privées comme celles-ci, il serait difficile d’attribuer tel édifice à tel architecte. Les signatures sur les façades, bien qu'elles tendent à se généraliser à cette époque dans les grandes villes, sont très rares dans l’architecture de villégiature.