EN 1913
Lundi, premier jour de cure et première surprise. Sur recommandation de mon ami Eugène Révillout, Monsieur le Directeur des thermes était là ce matin pour m’accueillir personnellement et me présenter l'établissement. C'est un édifice aux belles proportions agrémenté de galeries ouvertes sur une esplanade. Dans l'axe de celle-ci, un avant-corps surmonté d'un clocheton donne à l'édifice un aspect monumental. Mais le plus saisissant est à mon sens ce beau grès des Vosges que l’on dit extrait d’une carrière proche d’ici, et qui donne une couleur locale à l’ensemble. C'est la présence de sources jaillissant d'un banc de grès qui a guidé l'implantation des premiers bains dès l’Antiquité, et la construction des beaux bâtiments du 18e siècle tels que nous les voyons encore aujourd’hui.
Avisé par Eugène de ma passion pour l'histoire, Monsieur le Directeur a eu l'amabilité de me consacrer un peu de son temps pour retracer l'évolution des thermes. Les bâtiments que nous voyons, me dit-il, datent du 18e siècle, mais ils sont bâtis à l’emplacement des bains du Moyen Âge et de la Renaissance. Chaque bâtiment correspondait alors à une ou plusieurs sources : le Grand Bain, le Petit Bain, le Bain des Dames, celui des Bénédictins et celui des Capucins. C’est à l’initiative de l’intendant, représentant du roi en Franche-Comté, que la Ville lance leur reconstruction par l’ingénieur Querret en 1761 : ce sont les deux grands corps de bâtiments qui m’ont frappée en arrivant. Dès 1784, une aile est construite par l’ingénieur Bertrand pour les relier et pouvoir ainsi passer de l’un à l’autre grâce à une belle galerie de pierre. Derrière celle-ci est bâti le bain gradué, qui permettait de se baigner à différentes températures : quel luxe pour l’époque !
Les travaux menés après la Révolution concernent surtout des transformations intérieures. Plusieurs agrandissements notables sont tout de même réalisés : le Bain des Fleurs construit sous la Restauration, et les Bains ferrugineux sous le Second Empire, sont les plus significatifs. Monsieur le Directeur me fait remarquer combien leurs architectes ont tenu à respecter l’œuvre des ingénieurs du 18e siècle : les nouveaux bâtiments ont été greffés à l'arrière des anciens, côté parc, pour ne pas gâter l’harmonie des façades sur l'esplanade. « C'était la volonté de l’Empereur Napoléon III », poursuit-il solennellement, « les thermes ont été acquis par l'État en 1853 et ont été inscrits sur la liste officielle des monuments français dignes d’intérêt en 1862 ».
DE NOS JOURS
L’établissement thermal de Luxeuil occupe une place particulière dans le paysage du thermalisme de Bourgogne-Franche-Comté. Alors que les autres stations comme Saint-Honoré ou Salins-les-Bains se sont développées au 19e siècle sous l’impulsion de sociétés privées, l’essor des thermes de Luxeuil a été porté par les pouvoirs publics dès l’Ancien Régime. En 1936, l’État vend les bâtiments et le parc à la Ville qui souhaite alors s’impliquer dans leur modernisation.
L’établissement étant protégé depuis 1862, c’est à l’architecte en chef des Monuments historiques Robert Danis qu’est confié son réaménagement et son agrandissement. Il vient justement de rénover le Bain national de Plombières dans le département voisin des Vosges. S’il n’hésite pas à sacrifier les ajouts du 19e siècle pour créer une piscine encadrée par deux ailes en béton, il préserve en revanche les façades en grès et les toitures de l’Ancien Régime.
Les éléments du décor qui font référence à la Ville de Luxeuil sont traités à la manière du 18e siècle, comme les doubles L en fer forgé des garde-corps des bassins et des escaliers. C’est le cas également des médaillons héraldiques en mosaïque du vestibule sud. Le premier représente les armes de Luxeuil : « De gueules au soleil d'or ». Le second celles de la Franche-Comté : « D'azur semé de billettes d'or, au lion d'or, armé et lampassé de gueules ».
En 1999, la Chaîne thermale du Soleil acquiert l’établissement. Les travaux les plus récents concernent la modernisation des cabines de soin et des salles de douche, et la création d’un nouveau bassin au rez-de-chaussée du bâtiment d’Hygie.