EN 1913
Ces deux premières semaines de cure ne m’ont guère laissé le loisir de profiter des charmes de la ville ancienne. Mais le temps ce dimanche après-midi est propice à de nouvelles découvertes. J’aperçois déjà au bout de la rue Carnot la tour des échevins où m’attend ce chaleureux érudit rencontré aux thermes. Il m’a avoué plus tard être le bibliothécaire de la Ville. « Nous voici, chère Madame, au pied de la plus vénérable maison de Luxeuil. La Tour des échevins, comme on l’appelle aujourd’hui, est en réalité la première maison des Jouffroy, une puissante famille de Luxeuil qui l’a fait bâtir au 15e siècle. La Ville l'a acquise en 1552 pour y installer son conseil. » Nous gravissons l’escalier en vis pour atteindre la bibliothèque au deuxième étage et enfin le musée au troisième .
Depuis la fenêtre à meneaux, mon guide me montre un hôtel particulier en piteux état, juste de l’autre côté de la rue principale. « Et voici, me dit-t-il, l’autre joyau de la famille Jouffroy : la maison du cardinal ! On pense qu’elle a été construite après l’arrivée de Jean Jouffroy à la tête de l’abbaye de Luxeuil en 1449, puis agrandie par son neveu au siècle suivant dans le style de la Renaissance ». « Un Parisien du nom de Pierre Joret l’a achetée voilà quelques années, me précise mon ami. Figurez vous qu’elle était encore il y a peu l’Hôtel du Grand Monarque tenu par les sœurs Fraissignes. Quelle surprise d’apprendre que c’est là qu’a séjourné l’historien Augustin Thierry venu ici jadis profiter des eaux de Luxeuil ! Comme j’ai aimé lire ses Récits des temps mérovingiens !
La visite se poursuit pas une flânerie dans les rues de la ville. Je m’arrête devant la façade de l’école communale des filles qui me frappe par sa belle composition à l’antique. Son architecte devait être un fin connaisseur des ordres de l’architecture romaine, il a superposé savamment les colonnes doriques au rez-de-chaussée, ioniques au premier étage et corinthiennes au second. Un goût pour l’antiquité caractéristique de la Renaissance que mon guide confirme : « Cet ancien hôtel particulier a été bâti pour la famille Pusel vers 1550 ».
Avant de prendre congé, il tient à me montrer une dernière maison, dont la façade est semblable à la précédente. J’apprends avec effroi qu’elle aurait pu être abattue, comme ses voisines, pour parachever l’alignement de la rue principale : « L’empereur Napoléon III qui - voyez-vous - partageait notre goût pour les vieilles pierres, empêcha la destruction ». « On l'appelle Maison François Ier, mais c’est une fable ! C’est en réalité un autre François, abbé de Luxeuil, qui l’a fait bâtir vers 1540. ».
Épuisée par nos déambulations dans la vieille ville, je regagne mon hôtel en descendant la rue Carnot. J'en profite pour acheter des cartes postales et quelques souvenirs pour mes amis parisiens. La fin du séjour va maintenant arriver très vite, adieu le bon air frais de la campagne, les eaux bienfaisantes. Mais Luxeuil est entrée dans mon cœur. Plaise à Hygie, déesse de la santé, j'ai la ferme intention d’y revenir une prochaine saison !
DE NOS JOURS
La « fièvre thermale » qui s’est emparée des investisseurs à partir du Second Empire commence à retomber avant la Première Guerre mondiale. Dans la région, plusieurs signes témoignent d’un premier essoufflement au début du 20e siècle. À Saint-Honoré-les-Bains par exemple, la reconstruction de l’établissement thermal est semble-t-il envisagée. Mais faute de crédits, le projet est abandonné après l’édification du pavillon central en 1906. Le constat est le même à Pougues-les-Eaux où la Compagnie des Eaux minérales confie à l’architecte Charles Arnaud, la conception d’un nouvel établissement en 1903. Mais seule une petite partie voit le jour en 1907, l’actuel pavillon des sources Saint-Léon et Saint-Léger.
À partir de 1914, le nombre des villes d’eaux en Bourgogne-Franche-Comté diminue. Les disparitions concernent d’abord les petites stations rurales. En 1914, l’activité cesse à Saint-Christophe-en-Brionnais. Dans les années 1930, c’est au tour de l’établissement de Guillon-les-Bains de fermer ses portes. Mais les grandes stations ne sont pas non plus épargnées : le thermalisme disparaît à Besançon après la Première Guerre mondiale. En 1976, la fermeture de l’établissement de Pougues-les-Eaux marque la fin d’un cycle qui a rebattu les cartes entre les stations régionales.
La Bourgogne-Franche-Comté ne compte plus que six stations thermales aujourd’hui. Les anciens établissements ont été modernisés, comme à Saint-Honoré-les-Bains avec la construction d’une nouvelle piscine, et sont souvent dotés de centres de remise en forme comme à Bourbon-Lancy et à Lons-le-Saunier. Deux nouveaux établissements ont enfin vu le jour. Celui de Salins-les-Bains a été inauguré en 2017 et celui de Santenay a ouvert ses portes au public en 2021.