Sommaire

Chapitre 9

Sur les traces de Labienus


Où l'on part à la découverte de l'antique passé de Luxeuil-les-Bains.

EN 1913

Finalement, une cure thermale c'est aussi une cure de sociabilité ! Aujourd'hui c'est un érudit épris d'histoire antique que j'ai rencontré en buvant un peu de cette eau que l'on sert à l'une des buvettes de la galerie du Grand Bain. « Chère madame » me dit-il non sans humour, « savez vous que vous buvez l'eau sacrée des Romains ? ». Lisant la surprise sur mon visage, il m'explique séance tenante que l'eau servie à cette buvette provient d'une petite source située à cinquante mètres plus au nord. C'est à l'occasion de fouilles archéologiques menées en 1759 qu'un bassin taillé dans le roc et des maçonneries antiques ont été découverts, peut-être les restes d'un temple. La petite source chaude a aussitôt été appelée « source Labienus » en référence à l'inscription, découverte peu de temps auparavant, mentionnant le nom de l'illustre personnage.
Luxovium, le nom antique de Luxeuil, n'est pas mentionnée par les géographes anciens, mais les vestiges archéologiques découverts attestent une occupation très ancienne. Il y a une cinquantaine d’années, le docteur Delacroix y a retrouvé des statuettes votives en bois de l’époque gauloise. Et avant lui, quantité de vestiges ont été mis au jour depuis le 18e siècle, tels que ces deux péristyles que certains supposent être les restes d'un gymnasium, établissement romain dédié à l'exercice physique. Mais le vestige antique le plus prestigieux est sans conteste la plaque de pierre découverte au nord du Bain des Capucins en 1755. Elle porte une inscription mentionnant un certain Labienus comme restaurateur des bains. Ce bienfaiteur pourrait être Titus Labienus, l’un des généraux de Jules César pendant la Guerre des Gaules... Longtemps conservée à l’Hôtel de Ville, cette inscription est exposée depuis les années 1840 dans le vestibule de l’établissement thermal.
Voulant piquer encore un peu plus ma curiosité, le vieil homme passionné d'histoire m'emmène devant une énigmatique porte ménagée dans un talus du parc, il tire le lourd vantail et me révèle l’existence de vestiges antiques cachés, méconnus des curistes : deux galeries souterraines découvertes en 1857, qui attestent de l’importance des thermes à l'époque romaine. Creusés dans la roche, le canal de la source du Temple et celui du Puits Romain se rejoignent pour former une seule galerie orientée en direction du bassin de de la source Labienus.

DE NOS JOURS

Le souvenir de Titus Labienus est encore bien ancré au 20e siècle. En 1938, pour décorer la nouvelle piscine en plein air, le sénateur-maire André Maroselli et l'architecte Robert Danis commandent à la manufacture de Sèvres une statue en grès céramique représentant le général romain. Le modèle est fourni par le sculpteur Charles-Alexandre Malfray. Encore en place aujourd’hui, la statue de Labienus a pour pendant celle de la déesse grecque de la santé Hygie, exécutée quant-à-elle d’après un modèle de Paul Cornet.
Pourtant, l’authenticité de l’inscription découverte en 1755 a très tôt été remise en cause. Dans le troisième tome de son Recueil d’Antiquités publié en 1759, le jugement de Caylus est déjà sans appel lorsqu’il écrit : « Je la regarde comme moderne ». Selon lui, non seulement les caractères ne semblent pas pouvoir dater du Ier siècle avant notre ère, mais l'emploi du verbe « reparare » est également problématique. En bon latiniste, il juge que le verbe « restituere » conviendrait davantage. Depuis les années 1860, aucune fouille archéologique d’ampleur n’a été menée sur le site. Un jour prochain peut-être, de nouvelles découvertes lèveront le voile sur le mystère de Labienus.